La Lettre n°7 de Janvier 2002

Actualités : Les pratiques comptables des entreprises en 2001

Comme chaque année, plusieurs cabinets comptables ont uni leurs forces pour produire un ouvrage sur les principales pratiques comptables de 57 groupes européens de l’industrie et des services non financiers (1) dont la lecture est probablement la façon la plus efficace de maintenir à jour ses connaissances dans ce domaine.

Les auteurs ont choisi cette année d’analyser les nombreuses et importantes évolutions des normes comptables françaises, américaines et internationales intervenues en 2000 et 2001 et leurs premières applications par les entreprises.

Les référentiels comptables : En juin 2000, la Commission Européenne avait annoncé son choix des normes comptables IAS pour permettre la comparabilité des comptes des entreprises européennes cotées qui devront obligatoirement y recourir  au plus tard en 2005. En France, le CNC a annoncé que cette obligation ne pèsera que sur les comptes consolidés des entreprises cotées, les entreprises non cotées pouvant toutefois y recourir, mais seulement pour leurs comptes consolidés.  Au niveau des comptes sociaux (qui servent à la détermination de l’impôt sur les sociétés), l’utilisation des normes IAS est à ce jour interdite, dans l’attente de l’aboutissement du chantier fiscal.  Toutefois, comme il n’est pas prévu d’accentuer la déconnexion entre les comptes individuels et les comptes consolidés, il est probable que les règles françaises évolueront vers les normes IAS.

En 2000, les groupes industriels de l’indice Stoxx 50 appliquaient pour 50 % d’entre eux uniquement des normes nationales, pour un quart les normes IAS et pour un quart les normes américaines.

De grands chantiers comptables s’annoncent donc dans les entreprises, dont les conséquences vont bien au-delà de la simple présentation des comptes : impacts sur les politiques de rémunérations variables liées aux performances financières, sur la gestion financière (consolidation des structures ad-hoc déconsolidantes, ou des locations), sur la structure financière affichée,….

Les regroupements d’entreprises : Nous ne reviendrons pas sur la suppression dans les normes américaines du pooling of interests (mise en commun d’intérêts) (2) lors des acquisitions, au profit d’une inscription à l’actif du goodwill, dont la valeur est testée chaque année pour éventuellement être dépréciée.  L’IASB s’apprête de son côté à supprimer aussi ce traitement qui a, dans son référentiel, un caractère exceptionnel tant les critères pour en bénéficier sont difficiles à réunir. La méthode dérogatoire française qui permet depuis 1999, et sous certaines conditions, de ne pas dégager de goodwill et à laquelle Alcatel, Aventis, Cap Gemini, Ernst & Young, Lagardère ont eu recours en 2000, vit probablement ses derniers moments.

Les actifs incorporels : De par le monde, les régulateurs comptables ont précisé leurs définitions des actifs incorporels qui représentent souvent des montants considérables : 182 Md€ pour Vodafone, 67 Md€ pour Vivendi Universal,… Cependant, les traitements prescrits diffèrent sensiblement d’une norme à l’autre.

Dans les normes américaines, les écarts d’acquisition ne sont plus amortis, les actifs incorporels à durée de vie définie devront être amortis sur cette durée, à la différence de ceux à durée de vie indéfinie qui font l’objet d’un test de dépréciation annuel.  Pour l’IASB, les actifs incorporels, qui ne peuvent avoir de durée de vie infinie, doivent être systématiquement amortis, sur la meilleure estimation de leur durée de vie qui ne peut excéder 20 ans, sauf exception à justifier en annexe avec l’obligation d’un test de dépréciation annuel.  En revanche, en France, la pratique assez généralisée est de ne pas amortir les actifs incorporels, sauf cas explicitement prévus par les textes (écarts d’acquisition par exemple).

Les instruments financiers : Alors que les instruments financiers des grands groupes représentent près de 20 % de leur bilan, de nouvelles règles internationales et américaines sont entrées en vigueur en 2001 qui proposent un modèle comptable radicalement différent des règles françaises.  Tous les instruments dérivés, et les titres en portefeuille, doivent être comptabilisés à leur juste valeur avec enregistrement des plus et moins-values latentes en résultats ou en capitaux propres.  Dans le cas d’opérations de couverture, il est possible de dégager symétriquement le résultat de la couverture et celui de l’opération couverte, ce qui atténue la volatilité des résultats et des capitaux propres.  Mais le projet initial de l’IAS de traduire en juste valeur l’intégralité des actifs et des passifs financiers est maintenant bien abandonné, tant mieux car il aurait probablement eu des effets pervers.

Les déconsolidations d’actifs : Conséquence du durcissement de la réglementation française sur la déconsolidation d’actifs (3), des groupes ont commencé à consolider des entités ad hoc, ainsi TF1 pour son siège social acquis en crédit-bail via un GIE.  Mais la rigueur présente et future des règles internationales est bien supérieure aux normes francaises actuelles et ce n’est pas la débâcle d’Enron qui va les atténuer ! Les normes comptables s’attachent en effet à substituer une logique de contrôle à une logique de propriété.
 

Terminons par une note plus gaie : le délai de publication des comptes 2000 a été sensiblement réduit : en moyenne 64 jours contre 68 jours en 1999 pour les groupes français, mais seulement 54 jours pour les membres de l’indice Stoxx 50 Europe ; la palme revient à SMT Microelectronics (25 jours) et à Deutsche Telekom (23 jours).

(1) L’information financière 2001 – Groupes industriels et commerciaux européens – CPC décembre 2001, par les  Cabinets Deloitte Touche Tohmatsu, Ernst & Young, KPMG et Mazars & Guérard
(2) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 1
(3) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 4



Tableau : La prime de risque en France depuis 1980

La prime de risque du marché mesure l’écart entre la rentabilité attendue par les actionnaires sur l’ensemble des actions cotées sur une place et le taux de l’argent sans risque, classiquement le taux des obligations d’Etat à 10 ans.

Source : Associés en Finance

Son niveau absolu mesure donc l’appétence plus ou moins forte des investisseurs pour le risque. Elle est utilisée en finance d’entreprise pour calculer le coût des capitaux propres et donc du capital (utiles au choix d’investissements et à l’évaluation) et en gestion de portefeuille, son niveau plus ou moins élevé pouvant être un indicateur de sous ou de surévaluation du marché ( 1).

Depuis peu, elle est aussi calculée au niveau de l’Euroland par Associés en Finance qui estime son niveau actuel à 4,45%.

(1) Pour plus de détails, voir les chapitres 27 et 37 de Finance d’entreprise Pierre Vernimmen, Dalloz 2000.



Recherche : Clins d'oil sur l'efficience des marchés

Pour bien commencer l’année voici deux recherches amusantes sur l’efficience des marchés.

Dans la première (1), l’auteur, étudie l’évolution des cours d’actions ayant des symboles boursiers (ticker en franglais) proches. En effet, dans chaque système de cotation, les entreprises sont identifiées soit par un code numérique (en France le code SICOVAM, 13330 pour France Télécom) soit par un symbole alphanumérique de quelques lettres (FTE.PA pour France Télécom sur le système Reuteurs, FTE FP sur Bloomberg, ...)

Il montre que le cours d’un titre « obscur » qui a un symbole proche de celui d’un grand groupe a tendance à évoluer non pas en fonction de ses fondamentaux mais en fonction des informations nouvelles sur le grand groupe. 

Par exemple, lorsque le public a commencé à lire des informations sur des projets de fusion d’un des principaux groupes de communication américains, MCI Communications (dont le symbole boursier est MCIC) avec un de ses concurrents, les cours des titres de la SICAV Massmutual Corporate Investors se sont mis à évoluer fortement. Ces évolutions n’étaient pas dues au changement de la valeur des actifs détenus par la SICAV, mais seulement au fait que le symbole boursier de cette SICAV était MCI. De même, le nombre de titres de la SICAV MCI échangés quotidiennement est beaucoup plus important les jours où une information sur le groupe de communication MCI est rendue publique.

Ces erreurs de symboles sont nombreuses, l’article met en avant une demi-douzaine d’exemples dont Tele-Communications Inc (TCOMA) et Transcontinental Realty Investors (Fonds immobilier sous le symbole TCI) ou encore AppNet Systems (APPN) et la société en difficulté financière Appian (APPG mais dont l’ancien ticker était APPN !).

L’auteur propose trois explications à ce phénomène :
 

  • des erreurs de saisie d’ordre de bourse. Cette hypothèse est rejetée étant donné que les titres dont les symboles ne diffèrent que d’une lettre avec MCIC (CIC, MIC, MCC) ne sont pas corrélés au titre de la société de communication.
  • une erreur d’interprétation de l’information par les investisseurs, ceux-ci ne lisant que le titre de l’article (MCI va être racheté). Cette hypothèse est peu convaincante  et cette explication ne pourrait perdurer alors que l’information se diffuse.
  • les investisseurs ne connaissent pas le symbole de l’action et dans la précipitation, juste après avoir lu l’information, entrent un ordre avec ce qu’ils pensent être le bon symbole. Seule cette explication est retenue in fine par l’auteur.


Ces marques d’irrationalité sur le marché peuvent représenter jusqu’à 1% des volumes sur un titre comme MCIC. La persistance de cette erreur est cependant expliquée par l’auteur par les coûts de transaction et la relative illiquidité de l’action « obscure », rendant les opérations d’arbitrage peu rémunératrices. La morale est donc sauve !
 

Dans la même veine, trois chercheurs (2) se sont intéressés à l’évolution du cours de bourse des 95 entreprises cotées aux Etats Unis qui transformèrent leur nom en « quelquechose.com » en 1998 et 1999.

Pour beaucoup ce fut probablement le meilleur investissement qu’elles firent jamais : leur cours de bourse grimpa dans les 10 jours autour de cette annonce de 74% de plus que l’évolution générale du marché ne l’aurait justifié !

Sans grande surprise, les 3 chercheurs y voient la preuve d’une folie collective des investisseurs ne voulant rater à aucun prix l’avenir radieux qu’Internet laissait envisager. Ah ! Esprit de lucre quand tu nous tiens…
 

(1)  Michael Rashes, Massively Confused Investors Making Conspicuously Ignorant Choices (MCI-MCIC), Journal of Finance, octobre 2001.
(2)  Michael Cooper, Orhin Dimitrov et P. Raghavendra Ran, in A Rose.com by any other name, Journal of Finance, décembre 2001.



Q&R : Pouvez-vous me dire ce que l'on entend par dilution ?

En fait derrière le terme de dilution, il y a deux concepts tout à fait différents mais qui portent le même nom ; il s’agit donc de ne pas les confondre !

1 - La dilution du contrôle

La dilution de contrôle, c’est-à-dire la baisse du pourcentage de contrôle d’un actionnaire sur une entreprise, fait suite à une opération créatrice d'actions nouvelles à laquelle n’a pas participé l'actionnaire :

  • augmentation de capital réservée ou non ;
  • fusion, apports, ...


Dans les pays à gouvernement d'entreprise normal, cette création d’actions nouvelles ne peut se produire qu'après accord des actionnaires en Assemblée Générale Extraordinaire, éclairés par le rapport d'un tiers (commissaire à la fusion, aux apports, aux comptes...) et avec la protection légale de l'abus de majorité.

2 - La dilution des paramètres financiers

C'est avant tout du bénéfice par action (BPA) dont il s'agit, la faiblesse actuelle des taux de rendement rendant le critère de dividende par action moins significatif et l'actif net réévalué par action n'étant pertinent que pour les sociétés holding, immobilières ou les conglomérats.

Rappelons que le BPA mesure l'enrichissement comptable de l'actionnaire sur la période. C'est un outil très fréquemment utilisé bien que ne tenant pas compte du coût des capitaux propres.

La dilution du BPA est la baisse du BPA par rapport à ce qu’il aurait été si une opération n’était pas intervenue : augmentation ou réduction de capital, acquisition, fusion, cession payée en actions ou en liquidités.

3 - Relations avec la création de valeur

D'un point de vue strictement financier, la dilution du contrôle due à la multiplication du nombre d'actions en circulation s'apprécie uniquement en fonction de deux paramètres :

  • le prix d'émission de ces nouvelles actions : est-il ou non supérieur à la valeur de l'action ?
  • la rentabilité marginale des fonds ainsi levés et investis dans l'entreprise : est-elle ou non supérieure au coût du capital ?
Si la réponse à ces deux questions est oui, la dilution du contrôle n'est pas un mal, au contraire, elle abouti à créer de la valeur pour l'actionnaire ! Ne soyons donc pas malthusiens, au moins pour les grands groupes pour lesquels il n’y a pas d’actionnaires de référence. Il est vrai que pour des entreprises au contrôle plus ou moins bien assuré des considérations non financières peuvent prédominer.

La dilution du contrôle quand elle provient de l'exercice de stock-options ou plus généralement de mécanismes d'intéressement du personnel (augmentation de capital réservée au personnel à un prix inférieur de 20% à la valeur,..) est le prix à payer en contrepartie d'une espérance d’une meilleure rentabilité grâce à la meilleure efficacité des dirigeants ou collaborateurs de l'entreprise maintenant incités financièrement.

La dilution du BPA suite à une opération est-elle synonyme de destruction de valeur pour l'actionnaire ?

Il y a dilution du BPA suite à une opération quand le coût du financement instantané mesuré par le taux d’intérêt après impôt (en cas de financement par endettement) ou l’inverse du PER ( financement par capitaux propres) est supérieur à la rentabilité instantanée de l’investissement (mesurée par l’inverse du PER de la cible dans une acquisition). Autrement dit, ces évolutions du BPA n’ont, à court terme, aucun rapport direct avec la création de valeur.

Plus précisément, si après l'opération :

  • le risque opérationnel de l'entreprise,
  • ses perspectives de croissance,
  • et sa structure financière
sont différents de ceux d'avant l'opération l’évolution du BPA ne renseigne absolument pas sur le caractère créateur ou destructeur de valeur de l’opération.

En fait, ce n’est que si après l'opération :

  • le risque opérationnel de l'entreprise,
  • ses perspectives de croissance,
  • et sa structure financière
sont les mêmes qu'avant l'opération que la dilution du BPA est synonyme de destruction de valeur, et sa croissance de création de valeur.

En fait, la vraie bonne question à se poser n'est pas tant l'évolution du BPA à très court terme que de savoir :

  • si l'opération s'est faite en émettant des actions à un prix inférieur ou supérieur à la valeur estimée de l'action (augmentation / réduction de capital) ?
  • quel sera le taux de rentabilité des actifs acquis par rapport au coût du capital (acquisitions d’actifs), quels seront les taux de rentabilité marginale des fonds levés par rapport au coût du capital (augmentation de capital) ou quel était leur taux marginal de rentabilité dans l'entreprise (réduction de capital) ?


En effet, des opérations qui créent de la valeur se traduiront tôt ou tard par une progression du BPA, et celles qui en détruisent par une dilution du BPA. Mais une progression du BPA n’est pas nécessairement synonyme de création de valeur et une dilution du BPA n’est pas non plus nécessairement synonyme de destruction de valeur(1).
 

(1)  Pour plus de détails voir le rabat de couverture de l’ouvrage Finance d’entreprise de Pierre Vernimmen, Dalloz 2000 et le chapitre 48.



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