La Lettre n°38 de Mai 2005

Actualités : L'affacturage est-il sorti du ghetto ?

L'affacturage est une technique de gestion financière par laquelle, dans le cadre d'un contrat, une société d'affacturage gère les comptes clients d'entreprises en acquérant leurs créances, en en assurant le recouvrement pour son propre compte et en supportant les pertes éventuelles sur des débiteurs insolvables.

Ainsi, l'acte de vente qui met traditionnellement en présence deux parties, le vendeur et l'acheteur, donne naissance à une créance lorsque celle-ci est payable à terme. Dans le cadre de l'affacturage, cette créance, inscrite dans une facture, va être transférée par le vendeur au factor, troisième acteur. Ce dernier offre au client adhérent, aux termes d'un contrat qui les lie, les trois services suivants :

une fonction de gestion avec le suivi administratif et comptable des postes clients (comptabilisation, recouvrement, encaissement …) ;
une fonction de garantie contre le risque d'impayés (renseignement commercial, solvabilité, garantie) ;
une fonction de financement liée au montant des créances cédées et accessible rapidement sans attendre l'échéance des créances.

Le coût d'une prestation d'affacturage se décompose essentiellement en deux types de commissions. Il s'agit de :

  • la commission d'affacturage, qui rémunère les services de gestion et de garantie du factor. Elle correspond à un pourcentage du montant TTC des factures cédées (entre 0,2% et 2%). Son niveau dépend d'un certain nombre de facteurs : nature et importance des risques pris sur la clientèle, volume des impayés et des incidents de paiement au cours des derniers exercices, dispersion géographique de la clientèle, délai moyen des crédits accordés, nombre de clients gérés et nombre de factures et d'avoirs remis;
    la commission de financement, qui rémunère la mise à disposition anticipée des fonds. Elle évolue en fonction du marché monétaire (EONIA ou EURIBOR 3 mois) majoré d'un pourcentage qui peut aller jusqu'à 2,5%.
     
  • Introduit en France dans les années soixante, l'affacturage a connu ces 10 dernières années une croissance de +300% du volume d'affaires. En 2004, après deux années creuses, l'affacturage a renoué avec une croissance à deux chiffres (+11,3% par rapport à 2003), avec 81,6 milliards d'euros de créances cédées, supplantant ainsi l'escompte et les cessions Dailly (1).

La France se positionne en quatrième position derrière le Royaume-Uni, l'Italie et les Etats-Unis.


Les sociétés d'affacturage sont des établissements de crédits spécialisés bénéficiant d'un agrément en qualité de sociétés financières. Au 1er mai 2004, 19 sociétés étaient entièrement dédiées à l'affacturage et 11 exerçaient une activité mixte. Sur cette trentaine d'acteurs, sept factors dont 6 filiales et partenaires de grandes banques françaises, se partagent les 4/5 du volume d'affaires total.

Ces dernières années, le secteur de l'affacturage est devenu hautement concurrentiel et moins rentable pour les factors. C'est pourquoi, ceux-ci concentrent aujourd'hui leurs efforts sur la qualité du service (ergonomie des sites web…) et la diversité des offres modulables plutôt que sur le prix. Ils comptent ainsi obtenir la confiance de sociétés florissantes, améliorer leur image auprès des chefs d'entreprise et renforcer leur part de marché.

Quel renversement de situation, quand on songe que pendant longtemps, l'affacturage a été le dernier recours des entreprises en difficulté pour l'obtention d'un financement ! Celles-ci l'obtenaient dans la mesure où le factor estimait le risque sur le client final et non sur l'entreprise elle-même. Celle-ci payait néanmoins des coûts associés élevés.

Aujourd'hui, avec la baisse des coûts, son utilisation n'est plus limitée aux seules sociétés en difficulté. L'affacturage est devenu un outil qui donne au chef d'entreprise la possibilité de financer de manière régulière son activité.

En effet, l'affacturage permet à l'entreprise de recouvrir son chiffre d'affaires de manière anticipée, ce qui lui procure une trésorerie plus large et diminue son endettement à court terme.

A ce titre, l'opération, en faisant disparaître pour l'essentiel le poste client, améliore la présentation du bilan et met en évidence un levier comptable plus faible (dette financière nette/fonds propres). Toutefois, l'analyste intelligent redressera le bilan pour mesurer la politique commerciale de l'entreprise. De plus, les normes IFRS ne permettent la déconsolidation que s'il n'y a aucun recours du factor contre le vendeur au cas où l'acheteur ferait défaillance.

L'affacturage est un moyen efficace de financer le besoin en fonds de roulement.

En effet, ce financement qui peut atteindre 90% du montant des factures cédées, suit en permanence l'évolution du chiffre d'affaires et apporte une aide à l'expansion de l‘entreprise, même en cas de croissance importante.

Cette technique est particulièrement appropriée pour les sociétés peu soumises à une activité saisonnière et sans grande variation de stocks. C'est, par exemple, le cas des sociétés de services qui doivent faire face mensuellement au paiement des charges salariales. Malgré la cession récurrente des créances, et à leur financement à court terme, l'affacturage apporte alors un financement permanent à l'entreprise. L'affacturage peut même permettre à celle-ci de dégager une ressource en fonds de roulement, qui pourra lui donner un plus grand pouvoir de négociation vis-à-vis de ses fournisseurs (rabais supplémentaires ou escomptes pour paiement comptant).

Baromètre 2003 de la Gestion du Poste Client des Entreprises Françaises (Etude 2003 menée auprès de 1350 entreprises de 6 à 500 salariés par l'Institut Louis Harris)

Le délai moyen de règlement clients génère un crédit inter-entreprise important et induit des frais financiers pour les entreprises. De plus, un quart des défaillances d'entreprises françaises provient d'impayés. Pour ces raisons, l'affacturage apparaît comme un moyen de maîtriser les risques liés au poste client. Il apporte une protection à l'exploitation grâce à la garantie des créances et permet à l'entreprise de maîtriser ses marges.

Néanmoins, dans la pratique, si l'efficacité du service de financement se vérifie, en revanche, la qualité des services recouvrement et encaissement n'est pas toujours à la hauteur des attentes des clients adhérents. Dès lors, il est essentiel que les sociétés d'affacturage maîtrisent mieux les particularités de leurs clients-adhérents et des clients finaux afin de répondre à leurs demandes. Il est également souhaitable que les factors apportent plus d'efficacité et de transparence dans les relations avec leurs clients-adhérents, notamment grâce à l'apport des nouvelles technologies.

Alors, on pourra considérer que l'affacturage revêt un caractère structurel et que les entreprises l'adoptent comme moyen de financement permanent et d'optimisation de la gestion de leurs comptes clients.

Larissa Cain

(1) Pour plus de détails sur l'escompte et le Dailly, voir le chapitre 56 du Vernimmen.


Tableau : Le coût du crédit aux entreprises

La Banque de France publie dans son Bulletin Mensuel d'avril 2005 les résultats d'une enquête trimestrielle sur le coût du crédit aux entreprises et aux entrepreneurs individuels lorsque l'usage du prêt est professionnel.

En regardant les conditions moyennes faites sur le découvert (rien en dessous de 5 % tant que le montant n'excède pas 0,3 M€), on comprend mieux pourquoi l'affacturage est devenu populaire … Mais rassurez-vous, ce sont les meilleurs taux depuis 5 trimestres …

Sans surprise, il y a une corrélation négative entre la taille du crédit et les conditions de taux. La taille du crédit est en effet un indicateur de fragilité de l'emprunteur et de faiblesse de sa position de négociation.

On notera enfin que pour les crédits inférieurs à 76 000 €, le moyen et long terme est moins cher, en moyenne, que le court terme. Au-delà de cette somme, on retrouve une relation conforme à la configuration de la courbe des taux (1), avec un surcoût du crédit moyen / long terme de seulement 0,4 à 0,6 %. Dans ces conditions, pourquoi se priver de la sécurité du moyen / long terme quand on peut y accéder ?

(1) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 37 de mars-avril 2005.


Recherche : Le choix des capital risqueurs par les entrepreneurs

S'il est évident que les capitaux risqueurs jouent un rôle qui dépasse de loin celui du simple apporteur de fonds pour les entrepreneurs qui les sollicitent, quels sont le type et la valeur de ces services rendus ?

La recherche académique a longtemps analysé le problème du financement des start-ups du point de vue des capitaux risqueurs, considérés comme une entité parfaitement homogène. Dans cette littérature, les capitaux risqueurs sont supposés être plus efficaces que les autres apporteurs de fonds du fait de leur capacité supérieure à réduire l'asymétrie d'information entre le dirigeant et l'investisseur grâce, non seulement à leur compétence sectorielle, mais aussi aux modes de financement spécifiques utilisés. Ainsi, ils peuvent offrir de meilleures conditions financières et contractuelles pour l'entrepreneur. Toutefois, lorsque l'on se place du point de vue de l'entrepreneur, tous les capitaux risqueurs ne sont pas équivalents.

Les praticiens savent bien que la réputation du capital risqueur auprès duquel on a levé ses fonds compte parfois autant, sinon plus, que la valeur des fonds levés. Cette observation est-elle fondée scientifiquement ? Si oui, quelle est la magnitude économique des effets de réputation et d'afilliation à des capitaux risqueurs prestigieux ? David Hsu, de la Wharton Business School, étudie ces questions dans un article récent du Journal of Finance (1).

Quels sont les éléments qui peuvent rendre un capital risqueur plus attractif qu'un autre ? Un capital risqueur expérimenté dans un secteur industriel et disposant d'un réseau de contacts développé peut permettre à une entreprise de bénéficier de nombreux services à forte valeur ajoutée. A titre d'exemple, il est possible de citer l'aide à l'obtention de nouveaux clients, au recrutement de personnel clé, à l'élaboration d'alliances stratégiques ou d'acquisitions, à la levée ultérieure de fonds ou encore à l'obtention d'informations clés pour le développement de l'entreprise. Dans la mesure où la valeur de ces services croît avec l'expérience du capital risqueur dans un secteur industriel donné, on peut supposer que la volonté d'affiliation à un capital risqueur expérimenté est corrélée à son expertise du domaine.

Pour confirmer ces dires, l'auteur étudie deux hypothèses. La première est que les offres de financement faites par des capitaux risqueurs prestigieux sont plus susceptibles d'être acceptées que les offres de financement en provenance d'acteurs moins prestigieux. La seconde hypothèse est que les entrepreneurs vont accepter de lever moins d'argent à prise de participation égale pour obtenir les services d'un capital risqueur plus expérimenté, autrement dit d'être plus dilué.

Les données utilisées reposent sur une collecte ad-hoc de données, directement auprès des fondateurs de 149 start-ups en phase de développement initial. Parmi les 149 entreprises sondées, 51 ont reçu des offres de plusieurs capitaux-risqueurs et une majorité d'entre-elles (57%) a refusé l'offre la plus élevée proposée par les capitaux risqueurs, refusant ansi en moyenne environ 6 millions de dollars. Cette analyse simple des résultats semble donc confirmer la seconde hypothèse de l'auteur.

Les résultats montrent par ailleurs que les entrepreneurs acceptent une décote plus importante sur la valorisation de leur entreprise et ont une probabilité plus importante d'accepter une offre de financement dans la mesure où :

  • les capitaux risqueurs ont effectué un grand nombre de transactions dans leur industrie ;
  • les capitaux risqueurs ont davantage de ressources réseau à leur consacrer. Ces ressources réseau sont mesurées par la qualité des contacts pour le recrutement, l'obtention de clients, de fournisseurs et de banques d'affaires. Cette qualité est évaluée par l'entrepreneur qui a accepté les financements.

Ainsi, il semble bien que les entrepreneurs soient prêts à accepter des offres de financement moins avantageuses en valeur monétaire, mais qui semble correspondre à un choix fondé sur l'expérience de leur apporteur de fonds et sur sa capacité à aider au développement ultérieur de la start-up.

Malheureusement, au delà de cette observation et de cette interprétation intuitive, il n'est pas possible de définir précisément ce que les entrepreneurs achètent vraiment parmi l'ensemble des attributs associés aux vocables « expérience » et « prestige ».

(1) David H. Hsu. Août 2004. “What Do Entrepreneurs Pay for Venture Capital Affiliation”, Journal of Finance, Vol.59, pages 1805 à 1844.


Q&R : Pourquoi les actions gratuites se sont-elle raréfiées ?

Pourquoi les attributions d'actions gratuites qui étaient assez fréquentes dans les années 1990 sont-elles devenues très rares : uniquement 5 sur les 6 dernières années pour les sociétés du CAC 40 ?

Dans un contexte de cours en hausse régulière, la distribution d'actions gratuites permettait de maintenir à des niveaux abordables le prix d'une action. L'actionnaire pouvait alors avoir l'impression que l'attribution d'actions gratuites était la cause de la hausse alors que c'était l'inverse : la hausse des cours justifiait l'attribution d'actions gratuites. Cette impression s'expliquait aisément puisque dans ce contexte de hausse des marchés, l'effet mécanique de baisse du cours due à l'attribution d'actions gratuites était vite gommé par la hausse du marché.

Depuis 2000, le contexte boursier ayant changé, les attributions d'actions gratuites ont quasiment disparu ainsi que leur intérêt patrimonial pour l'actionnaire.

Si l'on prend l'exemple d'Air Liquide, son attribution d'actions gratuites en 2000 s'est traduite par un gain pour l'actionnaire de 2% alors que le CAC40 baissait de 1%. En 2002 le gain a été de 6% dans une journée exceptionnelle puisque le CAC40 gagnait 4%, mais en 2004 la même attribution s'est traduite par une perte de 1% pour l'actionnaire, le CAC40 baissant de son coté de 1%.

Bref, la pratique semble s'être alignée avec la théorie qui indique qu'il n'y a aucune raison que l'attribution d'actions gratuites s'accompagne d'un enrichissement (sans cause) de l'actionnaire.

Seule la théorie du signal (1) nous est d'un secours, car si l'attribution d'une action gratuite s'accompagne d'un maintien du dividende par action, les investisseurs pourront y voir un signal positif sur la bonne marche des affaires.

Mais il semble que de nos jours les groupes ne soient plus prêts à prendre le risque d'une baisse du cours, même technique, et préfèrent annoncer tout simplement une hausse du dividende par action plutôt qu'une attribution d'actions gratuites avec maintien du dividende unitaire.

(1) Pour plus de détails sur la théorie du signal, voir le chapitre 35 du Vernimmen.


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