Le retour des superprofits pour les champions de l’économie française

Par Denis Cosnard

Les 40 principaux groupes cotés à la Bourse de Paris (CAC 40) ont engrangé 51,6 milliards d’euros de bénéfice en six mois. Soit 25 % de plus qu’un an auparavant.


Tout avait si bien commencé. Des ventes en forte hausse, des bénéfices plantureux. Les uns après les autres, les groupes du CAC 40 n’annonçaient, depuis le début de l’été, que des bonnes nouvelles, ou presque. Autant dire que les comptes du premier semestre publiés mercredi 30 août au soir par Carrefour ont jeté un froid. Là où les investisseurs attendaient au moins 25 % de hausse du bénéfice net, le deuxième distributeur mondial a fait au contraire état d’une chute de 40 %, et prévenu que ses profits de l’année seraient eux aussi inférieurs aux prévisions. La sanction n’a pas tardé : en Bourse, l’action Carrefour a dévissé jeudi de 13 %.

L’épisode donne bien la tonalité particulière de la saison des résultats qui s’achève. Globalement, les champions de l’économie française affichent de très solides profits. Mais les doutes se multiplient quant à la poursuite de cette amélioration, entre la guerre des prix dans l’alimentaire, l’appréciation de l’euro et le risque d’une rechute de l’économie mondiale. Si bien que l’euphorie n’est pas à l’ordre du jour.

Au total, les 40 membres de l’indice vedette de la Bourse de Paris ont engrangé en six mois 51,6 milliards d’euros de bénéfices nets. C’est 25 % de plus qu’un an auparavant. Une embellie bien partagée : trente des quarante poids lourds de la cote ont vu leurs résultats s’améliorer. Le numéro un mondial de l’acier, ArcelorMittal, et le champion du béton, LafargeHolcim, qui avaient beaucoup souffert auparavant, ont connu des retours à meilleure fortune spectaculaires. Total a, lui, été porté par la hausse du pétrole, tandis que les spécialistes du luxe LVMH et Kering bénéficiaient d’un marché toujours dynamique, de même que les industriels de l’automobile. Les banques ont elles aussi retrouvé la forme.

A l’inverse, un seul membre du CAC perd encore de l’argent : le finlandais Nokia, acquéreur d’Alcatel en 2015. En raison de ses médiocres performances, Nokia risque d’ailleurs d’être écarté du CAC et remplacé par Hermès lors de la prochaine révision de la composition de l’indice, d’ici au 15 septembre.

« Les grandes entreprises ont beaucoup serré leurs coûts pendant la crise, explique François Breton, gérant chez Edmond de Rothschild.En conséquence, la moindre augmentation de leurs ventes a un effet démultiplié sur les résultats. »C’est ce qui s’est produit au premier semestre, au cours duquel les champions du CAC ont profité d’une croissance mondiale assez vive : elle devrait atteindre 3,5 % en 2017, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international. Leur chiffre d’affaires global a ainsi progressé d’environ 6 %, mais leurs coûts sont restés sous contrôle, compte tenu de la faiblesse des taux d’intérêt, des cours modérés des matières premières et de hausses de salaires accordées au compte-gouttes. Leurs profits se sont ainsi envolés quatre fois plus vite.

Sur l’ensemble de l’année, le bénéfice global du club des 40 pourrait s’établir entre 90 et 100 milliards d’euros, estiment les analystes. Sanofi, Total et les autres s’approcheraient ainsi collectivement de leurs résultats records des années 2006-2007, juste avant que la banque américaine Lehman Brothers ne fasse faillite et que le capitalisme mondial ne subisse sa plus grave crise depuis 1929.

EN CAS DE CHUTE DE LA BOURSE AMÉRICAINE, DIFFICILE D’IMAGINER QUE LES CHAMPIONS TRICOLORES RESTERONT INDEMNES

C’est en quelque sorte le grand retour des « superprofits ». De quoi alimenter la polémique politique, au moment où Emmanuel Macron et son gouvernement demandent des efforts financiers aux Français.

« Oui, cela va bien, très bien même, pour les groupes du CAC », constate Pascal Quiry, professeur à HEC et coauteur du Vernimmen, un ouvrage de finance qui fait référence. « Mais que les 40 meilleurs élèves de la classe aient de bons résultats n’a rien d’étonnant », nuance-t-il. Plus frappant, à ses yeux, est l’écart entre les groupes américains et leurs rivaux européens. Tandis que les multinationales françaises et européennes n’ont pas encore renoué avec leurs niveaux de profits de 2007, leurs rivales américaines ont, elles, effacé la crise depuis longtemps et gagnent plus d’argent que jamais. En moyenne, elles affichent un bénéfice par action supérieur de 40 % à ce qu’il était dix ans auparavant.

Pas d’optimisme démesuré

« Le décalage entre les deux côtés de l’Atlantique est net, confirme Marie-Jeanne Missoffe, gérante chez Mandarine Gestion. Est-on déjà en haut de cycle ? Aux Etats-Unis, c’est la grande questionEn France et en Europe, on peut espérer que la reprise se prolonge encore un peu : nous sortons à peine d’une période difficile, et la croissance n’est pas encore très forte… » 

Plusieurs facteurs, cependant, interdisent un optimisme démesuré. « Certains secteurs, comme l’automobile, se trouvent peut-être déjà au sommet du cycle économique », estime par exemple Hortense Lacroix, d’Edmond de Rothschild. D’autres souffrent toujours d’une baisse des prix, à l’image de celle qui pénalise Carrefour en France. D’autres entreprises encore, comme Publicis, doivent faire face aux effets de la révolution numérique. Et en cas de chute de la Bourse américaine, difficile d’imaginer que les champions tricolores resteront indemnes.

Pour beaucoup, surtout, l’appréciation de l’euro par rapport au dollar constitue d’ores et déjà un vrai sujet de préoccupation. Elle réduit, en effet, la compétitivité des exportateurs européens comme LVMH. En moyenne, « une hausse de 10 % de l’euro ampute de 5 % à 7 % les profits des grands groupes de la zone euro », évalue-t-on chez Edmond de Rothschild. Malgré les bons résultats du premier semestre, les analystes n’ont d’ailleurs globalement pas relevé leurs prévisions annuelles.

Denis Cosnard